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EXCLU - Léa Fehner : "Les Ogres est un film de famille, d'amour et d'excès"

L'équipe du Davai Theatre des Ogres

© Pyramide Distribution, DR

Sept ans après la sortie de Qu'un seul tienne et les autres suivront, qui lui avait valu une nomination au César de la meilleure première oeuvre, Léa Fehner revient avec son second long-métrage, Les Ogres, une oeuvre solaire et pleine d'énergie portée par l'incandescente Adèle Haenel. Nous avons eu l'occasion de rencontrer la cinéaste, qui s'est confiée avec passion et générosité sur ce nouveau film, que l'on ne peut que vivement vous conseiller de foncer découvrir en salles dès ce mercredi.

Orange : Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter Les Ogres ?

Léa Fehner : J'avais très envie, après mon premier long-métrage, de faire un film qui soit beaucoup plus solaire et joyeux. Mais je voulais aussi faire un film tapageur en parlant d'hommes et de femmes de théâtre itinérant qui ont peuplé mon enfance et qui vont sur les routes apporter du théâtre là où il n'y en a pas, en embarquant les familles, les caravanes, le chapiteau, et en mêlangeant tout, les histoires d'amour, l'éducation des enfants, le travail,... J'avais envie de faire un film qui parle de famille, d'amour, et d'excès.

C'est un film très personnel. Vous avez vous-même grandi dans cet univers. Comment avez-vous réussi à garder la distance nécessaire pour réaliser ce projet ?

Je ne me suis senti aucun devoir de fidélité. J'avais très à coeur de retranscrire le souffle romanesque de ces choix de vie, mais pas forcément les détails biographiques. Et puis, avec mes scénaristes, on avait un fort désir de fiction et de partage du plaisir qu'il y a à s'embarquer avec ces gens, qui veulent tout de manière excessive, joyeuse et tonitruante. On voulait amener de la fantaisie, de l'imaginaire dans les choses un peu désespérées qu'on avait à coeur de raconter. On ne voulait pas avoir peur de convoquer les délires, les fantômes, les invasions de vache, les batailles de couscous... Il n'y avait donc pas de désir de fidélité, mais un désir d'amusement, et en même temps, un désir d'être très lucide sur le monde et sur les êtres.

Le titre de ce film - Les Ogres - c'était une évidence ?

Le titre est venu très tôt. C'était une ligne de conduite pour l'écriture : le fait de parler avant tout d'appétit, de gens qui veulent tout et qui ont un appétit très puissant de croquer la vie et le présent. Et en même temps, on ne se cache pas que derrière cet appétit-là, il y a une intranquilité, une violence aussi à tout désirer. Avoir ce titre-là avec nous, ça permettait de regarder les deux aspects de cette envie de vivre.

On sent très rapidement - et c'est clairement dit dans le film - qu'on est avant tout dans une histoire de famille. En quoi cette dimension était importante pour vous ?

Ce que je trouvais beau dans cette aventure là, c'est que la question de la famille est élargie. C'est la famille du coeur, et il y a quelque chose de généreux là-dedans que j'avais envie de raconter. Et puis, la famille, c'est tout ce qui nous constitue. J'ai à coeur de me dire 'on n'est pas tout seul', alors qu'on est quand même dans une société où l'individualisme et le repli sur soi ont beaucoup de force. Parler de famille, c'était renouer avec l'idée du groupe.

Justement ce groupe, comment l'avez-vous constitué ?

C'est surtout une question de feeling. Ce sont des gens de provenances très différentes. Certains sont très proches de moi puisque ce sont mes parents, qui ont accepté de jouer avec le feu, et en même temps, j'ai pris un plaisir fou à connaître les autres, comme Adèle (Haenel, ndlr) ou Lola (Duenas), des gens suffisamment curieux pour se fondre dans cet univers là.

Et le fait de diriger vos parents, votre soeur, votre fils, n'est-ce pas trop difficile ?

Je ne dirais pas 'diriger' mais plus 'accompagner pour que les gens donnent le meilleur de ce qu'ils peuvent, de ce qu'ils sont'. Mon fils, c'était presque le plus difficile en fait (rires). Dire aux enfants qu'ils ont le pouvoir, c'est dangereux (rires). Avec mes parents, c'était difficile mais comme avec d'autres comédiens. Jouer demande énormément d'abandon. On essaye d'amener l'autre à ne plus se cacher. Et avec ma famille, c'était chouette car tout allait bien entre nous, donc le tournage n'était pas un lieu de psychodrame. Ils étaient confiants, généreux, et se fichaient de l'amalgame, ils y allaient à fond. Mais ça reste toujours délicat parce qu'on n'a pas envie que le film abîme quelque chose de notre relation donc on marche tout le temps sur des oeufs.

Choisir Adèle Haenel, ça a été une évidence ? Avez-vous écrit en pensant à elle ?

Non, je n'ai pas écrit en pensant à elle et je l'ai rencontrée à un moment où elle était beaucoup moins en lumière qu'elle ne l'est maintenant. Adèle a fait les essais, et elle était superbe, solaire, insolente, puissante. Et il en fallait de la puissance pour ce personnage, qui se fiche du deuil de son conjoint, qui arrive à en rire, et qui est aussi avec un homme beaucoup plus âgé. Croire à cette histoire, avec elle, c'était possible.

Sur le plateau, laissiez-vous de la place pour l'improvisation ?

Oui. Le plateau était une sorte de bataille entre une écriture très ciselée et un groupe de personnalités fortes, qui aiment rentrer en effraction dans ce récit. Donc il y avait des moments où je tenais à ce qu'on suive exactement ce qui était écrit et parfois, dans le feu de l'action, je me disais 'allez, on lâche les vannes et on voit ce que eux, ils sont capables d'apporter'. Il y a plein de répliques que je rêverais d'avoir écrites, comme 'ça t'apprendra à avoir des pulls couleur PQ' (rires).

Comment s'est fait le choix de Tchekov ? Est-ce un auteur qui vous influence de manière générale ?

C'est un auteur important de mon enfance. Ma grand-mère a écrit sur lui parce qu'elle était médecin et mes parents l'ont joué. Et aussi parce que, j'ai adoré retrouver son empreinte chez certains cinéastes comme Nanni Moretti ou Louis Malle, qui ont donné à aimer des gens en étant lucides sur leurs défauts. Ça m'inspire beaucoup.

Vous parliez tout à l'heure de la difficulté de diriger votre fils. Quel a été votre plus grand défi sur ce tournage ?

Tout (rires). Au niveau du scénario par exemple, le fait de ne plus être dictée par la dramaturgie des événements mais par la dramaturgie des sentiments. Le fait de parler d'un métier aussi précaire et subversif, et d'en rendre le souffle. Embarquer ma famille dans l'histoire. Diriger quinze comédiens. Mettre en scène un spectacle en plus d'un film. Faire que ce soit possible financièrement et que tout le monde y trouve son compte. Faire aussi que la vie qu'on allait vivre sur le film ne soit pas sacrifiée à l'autel du cinéma et qu'au contraire, elle soit vivante, heureuse, et qu'on s'y abîme pas.

Et l'expérience fut-elle belle et heureuse finalement ?

Oui et franchement, c'est l'une de mes plus grandes fiertés de me dire que ce tournage a été important pour beaucoup de gens.

publié le 14 mars, Pauline Julien

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